l'île est dans notre tête

Jean-Marc Poinsot ouvre son chapitre sur les descriptions par cette citation de Philippe Hamon : « Le descriptif est un mode d’être des textes où [...] se met en scène une utopie linguistique, celle de la langue comme nomenclature, celle d’une langue dont les fonctions se limiteraient à dénommer ou à désigner, terme à terme, le monde, d’une langue monopolisée par sa fonction référentielle et d’étiquetage d’un monde [...] découpé en "unités"1 . » On comprend que, pour Philippe Hamon, l’utilisation de la langue descriptive pour couvrir le monde entier, pour le rendre intelligible par l’écriture est utopique. Il est impossible de référencer par le langage la complexité des sentiments et des émotions, les interactions entre les choses, tout n’est pas étiquetable. Cela induit que le discours descriptif laissera toujours des creux, des choses en suspens, des éléments plus flous. C’est précisément dans l’incomplétude de ces descriptions que les spectateurs/lecteurs pourront insuffler leurs propres interprétations.

Mais quels sont les attributs de cette catégorie des récits autorisés que Jean-Marc Poinsot qualifie de « descriptions » ? Ce dernier nous explique : « En fait, il s’agit tout d’abord des zones techniques du titrage [...] c’est-à-dire d’une explicitation en quelques lignes du titre ou des autres éléments du titrage, ensuite des descriptions plus extensives qui vont contribuer à introduire, dans le champ de l’œuvre, des données ou composantes qui n’en sont pas conventionnellement partie intégrante [...] et enfin des descriptions ou recensions a posteriori à lire en l’absence de l’œuvre [...]2. » On comprend qu’il y a plusieurs strates descriptives, les informations purement techniques, des informations annexes, complémentaires qui ont étés ajoutées par l’artiste dans un but précis et enfin des informations pouvant être lues en l’absence de l’œuvre.

Ces strates sont, à mon sens, tout autant de voies exploitables par l’artiste afin d’introduire des amorces narratives au sein de son œuvre. Prenons le cas bien précis du titre. Comme le souligne Jean-Marc Poinsot, le titre est un outil pratique que les artistes exploitent afin de décrire leurs œuvres mais parfois ils s’en servent aussi comme un élément qui donne un statut, un point de vue complètement différent sur l’œuvre en question : « L’analyse des titres a fait apparaître comment le titrage dans toutes ses rubriques était traité avec soin par les artistes et comment, tout en respectant des conventions documentaires utiles à la conservation et à l’identification de l’œuvre, ils pouvaient conférer à ces courtes notices une grande efficacité descriptive et didascalique3. » En effet, certains artistes exploitent cette zone de descriptions pour créer des amorces narratives ou poétiques, s’émancipant ainsi du caractère pragmatique de ces zones de titrage.

Ces déclics narratifs se font grâce aux décalages créés entre ce que le spectateur voit et ce qu’il peut lire sur le cartel. C’est souvent l’écart ou les lacunes entre ce type de récits autorisés et l’œuvre qui poussent le spectateur/lecteur à se créer sa propre histoire. Marcel Broodthaers qualifiait par exemple ses titres de « compléments indispensables » selon ses mots. Plus qu’une simple description, ses notes visaient à « [...] créer une certaine disposition chez son lecteur-visiteur [...]4 » . Cela implique une réelle implication du spectateur face à l’œuvre, Daniel Buren va jusqu’à qualifier le spectateur de coauteur : « Je pense même qu’un travail est autant produit par celui qui le regarde que par celui qui le fait. Faire l’effort de regarder un travail, c’est en devenir coauteur, c’est contribuer à le faire exister5. » Cela intègre réellement le spectateur dans l’œuvre, c’est par sa conscience et sa subjectivité que l’œuvre se crée et le titre apparaît comme l’un des moyens de l’inclure dans ce processus.

1. HAMON Philippe cité par POINSOT Jean-Marc, Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, Genève/Villeurbanne, Mamco/Art Edition, 1999, p.252.

2. POINSOT, Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, op. cit., p.253.

3. Ibid., p.253.

4. Ibid., p.259.

5. BUREN Daniel cité par POINSOT, Quand l’œuvre a lieu, l’art exposé et ses récits autorisés, op. cit., p.265.

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