Selon Lawrence Alloway, les déclarations ou statements, « [...] se présenteraient comme un texte relativement court qui devrait son originalité et sa force à l’institutionnalisation de la position d’autorité de l’artiste1. » On observe cela de façon signifiante dans le travail de Lawrence Weiner, l’une des figures majeures de l’art conceptuel, mouvement artistique né aux États-Unis où il s’est principalement développé, de 1966 à 1972. Les artistes posaient alors un regard critique sur les moyens et les fins des œuvres elles-mêmes et tentaient d’analyser ce qui permet à l’art d’être art en limitant le travail de l’artiste à la production de définitions de l’art. Ils tentaient de répondre à la question « Qu’est-ce que l’art ? » par les moyens de la logique et utilisaient l’autotélie2 et le langage en tant que forme plastique comme réponse à ces questionnements.
Pour John Rogers Searle, « les déclarations provoquent une modification du statut ou de la situation de l’objet ou des objets auxquels il est fait référence seulement en vertu du fait que la déclaration a été accomplie avec succès3. » Ce à quoi Poinsot ajoute : « L’ajustement entre le contenu propositionnel et la réalité s’établit donc du seul fait de l’accomplissement réussi de la déclaration, mais seulement si certaines conditions préalables sont remplies : une institution extra-linguistique, un système de règles constitutives doivent venir s’ajouter aux règles constitutives de la langue pour que la déclaration puisse s’accomplir avec succès4. » On comprend que les déclarations sont sujettes à des règles linguistiques particulières qu’il est nécessaire de connaître pour que ces déclarations soient efficientes.
Venons-en à la fiction, Poinsot écrit : « Selon Genette, la fiction est constitutive de la littérarité, c’est-à-dire que tout texte de fiction est inévitablement reçu comme littéraire. Que peut donc avoir affaire, dans l’œuvre plastique ou dans sa proximité, une forme d’utilisation du langage constitutive d’une autre réalité esthétique ?
Cette fiction apparaît principalement sous trois espèces. En premier lieu, elle se mêle si intimement à la prestation esthétique qu’elle n’en est pas clairement décelable ; deuxièmement, elle se donne comme un commentaire ou une déclaration qui, bien que feinte, n’entretient pas moins une relation seconde vis-à-vis de la prestation esthétique ; et enfin, appartiennent au dernier type de fiction celles qui n’ont pas une relation explicitement motivée au travail, qui ne semblent pas entretenir un contact repérable5. » On comprend que les rapports entre l’œuvre et la fiction que l’artiste y a associée, sont plus ou moins décelables par le spectateur : tantôt affirmé, tantôt sous-jacent. Poinsot insiste sur ce fait : « La fiction tend à dissoudre les frontières entre le récit autorisé et l’œuvre. Cette ambiguïté est un effet de l’instauration de la fiction qui suspend toute possibilité de vérification dans le réel. La reconnaissance de la distinction entre l’œuvre et ses récits autorisés est cependant une condition préalable au succès de la fiction6. »
Dès lors qu’un artiste décide d’intégrer de la fiction dans les récits autorisés d’une œuvre, l’association de ces deux entités par le spectateur sera probablement énigmatique. En effet, il sera certainement difficile de distinguer le vrai du faux puisque les récits autorisés ont normalement pour but d’apporter des informations utiles à la compréhension d’une œuvre et non d’apporter une fiction dont on ne connaît pas la véracité.
1. POINSOT Jean-Marc, Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, Genève/Villeurbanne, Mamco/Art Edition, 1999, p.287.
2. « Qualité de l’être qui a sa fin en soi-même. » : s.v. « Autotélie », Wiktionnaire, (https ://fr.wiktionary.org/wiki/autotélie, consulté le 07/01/17).
3. SEARLE John Rogers cité par POINSOT, Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, op. cit., p.287.
4. Ibid., p.287.
5. POINSOT, Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, op. cit., p.298.
6. Ibid., p.299.